Après sa mort, les choses s’étaient effondrées de l’intérieur. Les protagonistes étaient d’abord restés debout. Coquilles remplies de cendre. Ça s’était délité lentement. Son couple. La bonne humeur de Xavier. Son travail. Sophie haïssait le malheur qui se lisait sur les traits des siens. Elle n’appartient pas à cette élite que l’expérience de la douleur grandit. Elle ne souhaitait pas le bien de son prochain. Elle était stupéfaite du peu de bruit qu’avait fait son apocalypse dans le monde, elle était stupéfaite de ce que la vie continue, pour autrui, comme si de rien n’était. Elle serrait les dents quand elle voyait des mères ravies couver leurs enfants du regard, elle serrait son poing quand elle croisait les gens heureux au supermarché. Elle désirait que chaque personne passe par où était passée sa famille, elle désirait que tout le monde sache ce que c’est qu’un monde divisé en deux. Avant la perte, et après. Elle aurait voulu croire en Dieu, pour pouvoir demander : pourquoi eux ?
Les objets de la maison se classaient en deux catégories : ceux qui existaient du temps de Nicolas, et ceux qui étaient arrivés après. Chaque ampoule qu’on changeait était une poignée de terre supplémentaire jetée sur le cercueil de son fils. Elle fondait en larmes quand la machine à café lâchait. Cette machine qu’il avait touchée. Une tasse qu’on brisait en la passant sous l’eau lui déchirait le ventre. Cette tasse qu’il avait rincée si souvent après avoir bu son café, le matin.
Son mari était parti. Le drame les avait d’abord soudés, tels deux siamois collés par une brûlure. Puis il n’avait plus supporté. Il avait eu le courage de l’admettre. Il n’en pouvait plus. L’atmosphère dans la maison. Cette culpabilité enragée, mêlée à du déni. Il était monté dans une autre histoire, avec une femme pas abîmée. Il l’avait plantée là. Il avait littéralement fui. Elle n’avait plus entendu parler de lui.
Elle est sûre que Xavier voit encore son père. Mais il ne veut pas lui en parler. De cette séparation non plus elle n’a jamais pu se remettre. Elle n’est pas dans le camp des forts. Elle voit bien, sur les visages des gens qu’elle connaît, une impatience – après tout ce temps, souffrir encore, est-ce bien normal. Elle leur souhaite, à tous, de vivre ce qu’elle a vécu.
Il est hors de question qu’elle s’en remette. Ça ne l’intéresse pas. C’est probablement la raison pour laquelle Marie-Ange ne veut pas que sa petite fille aille seule chez sa grand-mère. La vieille est dingue. Elle porte encore le deuil.